Agressivité routière, tension entre les usagers… quand le citoyen justifie l’indéfendable, c’est un signe d’une société qui va mal. 

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Hier, le 5 juin, la presse relatait l’agression subie par une personne sur une rue cyclable de l’avenue Louise. La victime était à vélo, l’agresseur était en voiture. Le témoignage nous renseigne sur les circonstances de l’événement : l’automobiliste enfreint une première fois le code de la route en dépassant le cycliste dans une rue cyclable, une seconde fois en le dépassant de si près qu’il provoque la chute du cycliste qui, dans un mouvement réflexe (de colère ? De peur ?), frappe le véhicule de la main. L’automobiliste arrête alors son véhicule, en sort, et assène à sa victime un coup d'arme blanche à la gorge. Délit de fuite pour l’agresseur, six points de suture pour la victime. 

S’il était vraiment nécessaire de compter les "fautes", nous pourrions comptabiliser chez l’agresseur trois infractions au code de la route mettant en danger la vie d’un usager plus vulnérable, ainsi que des coups et blessures (voire une tentative de meurtre ?). On serait tenté de croire que cette histoire est assez manichéenne : une victime d’un côté, un agresseur de l’autre. Et pourtant, face à ce cas de figure qui devrait susciter une condamnation unilatérale envers le chauffard, trois types de réactions complètement hors-sol sont observées.

Parmi les réactions observées

Tout d’abord, les propos de nombreuses personnes (malheureusement non modérés par les médias qui relaient l’événement) qui n’ont pas trouvé l’exemple suffisamment évident. Pour elles, la victime est certainement responsable de ce qui lui est arrivé. En psychologie sociale, ce mécanisme est connu : nous plaçons un filtre interprétatif sur un événement afin notamment de nous rassurer sur notre croyance de vivre dans un monde juste. Dans un monde juste, les gens reçoivent ce qu’ils méritent. Suivant ce schéma de pensée, ces personnes fantasment l’idée que le cycliste a sûrement provoqué lui-même cette situation. 

Ensuite, il y a les personnes qui, bien qu’elles reconnaissent (timidement) les torts de l’automobiliste, tentent toutefois de les justifier, non pas en incriminant le comportement du cycliste particulier (car il n’a effectivement enfreint aucune règle), mais bien celui de l’ensemble de la communauté cycliste : les cyclistes ne respectent pas le code, il ne faut donc pas s’étonner qu’on en arrive là. Ce raisonnement biaisé n’est pas sans rappeler celui du loup de la fable de Jean de Lafontaine qui, cherchant à tout prix une raison pour manger l’agneau, finit par déclarer à court d’argument "Si ce n’est toi, c’est donc […] quelqu’un des tiens". Ici, la victime s’est fait agresser à l’arme blanche… à cause du comportement de tous les autres cyclistes. 

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Enfin, il y a ceux qui, pour ne pas dénoncer l’inacceptable (la violence sur nos routes, extrême dans ce cas-ci), vont chercher des justifications plus loin encore. Si cet acte a été commis, c’est parce qu’on a "monté les usagers les uns contre les autres". Comprenez : c’est la faute aux aménagements réalisés pour sécuriser les cyclistes que ceux-ci se font agresser. En dénonçant un plan de mobilité dont ils ne connaissent probablement que le nom, ils ignorent sans doute que ce type de comportement sur les routes est loin d’être neuf. La violence au volant est étudiée depuis la fin des années ’60 et elle est intimement liée à la puissance de la voiture1. Or la notion de puissance a toujours été le message premier des vendeurs d’automobiles. 

Heureusement, certains ont encore la clairvoyance et le courage de dénoncer un comportement sur la route inacceptable, mais combien de nos concitoyens en sont incapables ? Combien sont ceux qui, aveuglés par une idéologie anti-vélo primaire, parviennent à défendre l’indéfendable, voire à s’en réjouir à mi-mots ?

Ce dont nous avons besoin

Ce dont nous avons besoin c’est d’un autre modèle de mobilité, qui ne soit plus basé sur la puissance mais sur le respect de l’autre, en particulier du plus vulnérable. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une justice ferme face aux comportements dangereux, violents et agressifs sur la route. Ce dont nous avons besoin, ce sont des réseaux sociaux mieux modérés où la liberté d’expression ne serait pas salie par la violence ordinaire de certains propos qui ne fait qu’attiser la haine. Mais ce dont nous avons besoin aussi, ce sont des citoyens qui soient encore capables faire preuve d’empathie et de discernement face à une situation de violence… Sans quoi, nous sommes condamnés à vivre dans une société où le plus fort aura toujours raison.

Gaël DE MEYERE

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