Suite à la répression policière envers la Masse critique liégeoise le 27 avril dernier, le GRACQ Liège a réagi en écrivant une carte blanche. L'occasion de revenir plus largement sur la politique cyclable à mener dans la Cité Ardente. 

Un évènement douloureux conséquent à une politique cyclable profondément insuffisante à Liège

Carte Blanche

La Masse critique du 27 avril a fait l’objet d’une intervention musclée, démesurée et injustifiée de la part des forces de l’ordre. Pour le GRACQ, cet évènement est révélateur d’une politique de mobilité qui, à Liège, en prenant très insuffisamment en compte les cyclistes, attise les frustrations et les revendications bien légitimes des usagers du vélo et favorise les conflits entre les cyclistes et les autres usagers. Une situation qui pourrait se voir pacifiée par le développement d’une réelle et très attendue politique cyclable beaucoup plus ambitieuse.

Une intervention policière musclée injustifiée

La « Masse critique » est un rendez-vous organisé simultanément le dernier vendredi du mois dans plus d'une centaine de villes dans le monde. Durant une heure des cyclistes de tous âges et de tous horizons parcourent la ville afin de sensibiliser les habitants à l’usage du vélo et de dénoncer l’insuffisance des aménagements cyclables. Un évènement joyeux, familial et pacifiste qui existe depuis quelques années, à Liège, sans connaître de problèmes, suscitant généralement la compréhension voire l’amusement des observateurs. La manifestation est auto-organisée et donc distincte des actions du GRACQ. Si certains membres du GRACQ y participent c’est à titre personnel et non au nom de l’organisation.

Ce 27 avril, le cortège était organisé dans le cadre du festival Avril en ville. Cette publicité a généré un succès inhabituel avec une septantaine de cyclistes. L’évènement avait été annoncé dans les réunions de sécurité liées à l’organisation du festival Avril en ville sans opposition des autorités. Les tristes évènements du 27 avril sont maintenant connus. Après une trentaine de minutes d’une ballade qui se déroulait dans la joie et la bonne humeur et sans le moindre incident, la police est intervenue de façon musclée. Une vingtaine de véhicules de police et une trentaine d’agents ont interrompu le cortège par la force et la violence : barrage par des agents dont certains étaient munis de boucliers et de matraques, arrestation, contrôle des identités, ordre de dissoudre le cortège avec menace d’arrestation si le cortège se réunissait encore. Des enfants pleuraient et beaucoup, parmi les cyclistes, ont été choqués de cette brutalité.  Le GRACQ Liège condamne ce déploiement de force absurde, inutile et totalement disproportionné.

Une crise révélatrice de la situation du vélo à Liège

Depuis lors, les images défilent dans les médias. Les commentaires vont bon train sur les réseaux sociaux. Beaucoup s’offusquent de cette démesure policière. D’autres expriment leur désamour des cyclistes : « Ils se croient tout permis » « Ils roulent sur les trottoirs » « Ils ne respectent pas le code de la route »… Pour le GRACQ Liège, pour bien comprendre cet évènement, il importe de prendre du recul et de le replacer dans le contexte plus général de la situation du vélo à Liège. Pourquoi l’existence de la masse critique ? Pourquoi septante participants ? Pourquoi cette vision si négative des cyclistes ?

Le retour de la bicyclette

L’existence de la masse critique tient à une revendication : faire de la place pour les cyclistes, leur permettre de faire ce choix de mobilité en toute sécurité.  Généralement, l’évènement draine de 10 à cyclistes, sans faire de l’objet publicité. Atteindre une masse de 70 cyclistes dès lors qu’une publicité est faite est révélateur des aspirations des cyclistes liégeois pour une amélioration de la condition qui leur est faite dans l’espace public.

Globalement, à Liège, le nombre de cyclistes est faible. La « part modale » de l’usage du vélo dans les trajets quotidien est d’environ 2% pour 75% d’usagers de la voiture. Cette mobilité urbaine fondée essentiellement sur la voiture rencontre des limites dont la population prend progressivement conscience. Liège est la troisième ville la plus embouteillée de Belgique. Le liégeois passe en moyenne une semaine par an dans les bouchons. Liège est également une ville gravement polluée. La qualité de l’air y est largement en deçà des normes prescrites par l’Organisation Mondiale de la Santé, comme l’on montré des études de l’ISSeP ou plus récemment de Greenpeace.

Cette situation pousse une part grandissante des Liégeois à se tourner vers la solution du vélo. Les comptages de la ville révèlent bel et bien une augmentation du nombre de cyclistes. Ce phénomène du « Retour de la bicyclette » est constaté dans de nombreuses villes occidentales (Bruxelles, Montréal, Paris, Strasbourg,…). Les résultats de la récente consultation « Réinventons Liège » révèlent aussi que la création d’une véritable réseau cyclable continu et sécurité est une des demandes les plus forte des liégeois. Certains se mettent au vélo, d’autres attendent que cela soit moins dangereux. Beaucoup aspirent à pouvoir utiliser cette solution simple, non polluante, peu coûteuse, utilisée dans de nombreuses villes devenues plus respirables et attractives que Liège.

Des aménagements qui favorisent les conflits entre cyclistes et les autres usagers

Pourtant, rouler à Liège n’est pas une sinécure tant la ville est mal aménagée. La mixité imposée avec des voitures roulant à 50km/h, 70km/h voire davantage est source d’un important sentiment d’insécurité. L’absence d’aménagements cyclables tend également à ne pas guider le cycliste sur la bonne place à prendre sur la route. Souvent le cycliste se demande : « mais où dois-je rouler » ? Il est fréquent que la distance minimale d’un mètre entre le cycliste et la voiture (ou le bus) qui le dépasse ne soit pas respectée. Il est fréquent également que le cycliste soit klaxonné ou invité à laisser la place aux automobilistes dont certains s’estiment les seuls usagers légitimes de la route. Quotidiennement, sur les quelques pistes cyclables existantes, le cycliste doit aussi faire face au stationnement sauvage des automobiles qui le mettent en danger. Beaucoup de cyclistes ont connu le vol de leur vélo, essentiellement dû à l’absence de stationnement sécurisé prévu pour eux. Et il y a ceux qui ont été renversés par les automobilistes. Dès lors, dans certaines zones dangereuses, certains cyclistes sont contraints de se replier sur les trottoirs. Le GRACQ n’excuse pas ces comportements qui ne respectent pas le codes de la route, mais il les comprend en regard des conditions difficiles qui leur sont faites.

Dans bien des zones (piétonniers, Ravel,…) la mixité cyclistes-piétons favorise également les conflits. A nouveau, l’attitude des cyclistes est parfois inexcusable. Toutefois, le GRACQ dénonce en priorité cette politique de mixité cyclistes-piétons. Le GRACQ demande depuis des années de solutionner ces conflits, ici en créant un espace spécifique aux cycliste (Passerelle Saucy, par exemple), là, de marquer plus clairement au sol l’espace dédié aux cycliste (nouveaux quais de Meuse, rue du plan incliné…). Ces demandes restent malheureusement lettre morte. Pour le GRACQ Liège, il n’est guère étonnant d’entendre de la population liégeoise des plaintes – tout à fait légitimes - vis-à-vis du comportement de certains cyclistes. Nous tenons toutefois à souligner que la piètre qualité des aménagements crée ce conflit permanent entre les différents usagers. Les solutions d’apaisement sont là mais les autorités politiques ne les utilisent pas.

L’échec amer du plan Wallonie cyclable à Liège

La population liégeoise doit également prendre la mesure de la déception des cyclistes liégeois vis-à-vis du projet « Liège ville pilote Wallonie cyclable ». En 2011, sur base d’un Plan Communal Cyclable proposant 6 itinéraires cyclables structurants, 4 jonctions cyclables et la création de 3 quartiers en zone 30, Liège était choisie par la région wallonne comme ville pilote pour le vélo. L’objectif : créer un réseau continu proposant des pistes cyclables marquées ou séparées pour les zones de 50Km/h ou plus. Un million par an ont été investis (70% région wallonne/30% ville de Liège) pendant 5 ans. Dans les zones de 30Km/h il était prévu de créer des bandes cyclables suggérées.

Le GRACQ a dressé le bilan de ce vaste chantier et le constat est particulièrement négatif. À ce jour, sur 6 itinéraires structurants et 4 jonctions annoncés, aucun n’est réalisé de façon continue. Ils sont mêmes très loin de l’être. 67% du réseau prévu n’est pas réalisé. 12% est réalisé mais sans respecter les principes initiaux. Par exemple, rue de la régence (50Km/h) seuls quelques logos peu visibles sont prévus sans offrir de réelle place pour le cycliste coincé entre le flux des voitures et de bus et les voitures stationnées en permanence sur les zone de livraison.

Finalement seulement 21% du réseau est réalisé de façon fidèle au principes initiaux dont, en réalité, une large part de ces itinéraires laissent à désirer. Le Boulevard de la Sauvenière, par exemple, est quasi inutilisable de par l’ampleur du stationnement sauvage sur les pistes cyclables. Autre exemple, le passage par l’Ilôt St Michel implique de grimper une côte de plus de 15% de dénivelé alors que le passage par la rue de Bruxelles au relief plus doux était initialement prévu… La ville vient de réaliser deux des trois quartiers apaisés annoncés, en mettant Bressoux et le Longdoz en zone 30. Les bandes cyclables suggérées annoncées n’ont toutefois pas été réalisées. Or, le simple marquage au sol de pastilles « 30 » aux entrées du quartier ne suffit pas à rendre ces quartiers cyclables. La rue Gretry est aujourd’hui très loin d’être « l’axe cyclable structurant » pourtant voté en 2011….

Outre l’échec du Plan communal cyclable, le GRACQ déplore l’absence de prise en compte du vélo dans les nouveaux aménagements urbains. Les exemples ne manquent pas. En 2015, le projet de création d’un parking enterré sous la place Cockerill prévoyait la destruction de l’actuelle rampe d’accès à la passerelle Saucy, particulièrement confortable pour les cyclistes. 2300 signatures opposées au projet ont été recueillies, dont une large part issue de cyclistes atterrés. Le projet de tram annonçait la création d’itinéraires cyclables. Après analyse des

la faible qualité des aménagements prévus (discontinuité, mixité piétons-cyclistes…). Actuellement, un projet de réaménagement du quartier de St Walburge est en cours dont un des objectifs est l’amélioration de la cyclabilité du quartier. L’intégration du cycliste y est en réalité absente au point que la CCATM (Commission consultative en matière d’Aménagement du territoire et de la mobilité) a émis un avis négatif motivé par l’insuffisante intégration du vélo. Le projet sera pourtant réalisé tel quel…

Une ville pacifiée est possible

Le GRACQ souhaite toutefois souligner quelques réalisations positives réalisées pour les cyclistes. Le pont de Bressoux a été réaménagé de façon exemplaire. Le projet de création d’un corridor cyclable, en privilégiant un espace propre aux cyclistes, va également dans la bonne direction. La passerelle « La Belle Liégeoise » est également un point positif (même s’il aurait été plus judicieux de prévoir une séparation des flux cyclistes et piétons). Toutefois le GRACQ Liège souligne que ce ne sont là que des gouttes d’eau dans l’océan ; des efforts importants mais qui n’auront d’impact que s’ils de développent dans une mesure bien plus importante, associée à des budgets adéquats.

Liège peut devenir une ville où cohabiteraient harmonieusement cyclistes, piétons et automobilistes.  Les tristes conflits tels que ceux qu’a connu la Masse critique du 27 avril pourraient appartenir au passé. Mais pour cela la balle est dans le camp de ceux qui ont le pouvoir d’aménager l’espace public dans l’intérêt général. Etsi d’aventure les autorités publiques souhaitent emprunter cette piste (cyclable), les bénévoles du GRACQ Liège sont disponibles pour réaliser un bout de route ensemble…

Johan Tirtiaux

 

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