Présent dans d'autres pays, le concept de "chaussée à voie centrale" est entré le 1er octobre 2022 dans le code de la route belge. Depuis, deux arrêtés wallons ont été pris pour son application dans le sud du pays : un premier pour définir techniquement le marquage au sol et un autre pour le régime à 70 km/h (par défaut) sur ce nouvel aménagement, qui pourrait, sous certaines conditions, améliorer la sécurité des cyclistes.
Une “chaussée à voie centrale” (CVC) est une voirie composée d’une bande centrale destinée au trafic motorisé, encadrée par deux bandes latérales dédiées aux modes actifs. La largeur de la bande centrale ne permet pas le croisement de deux véhicules.
Ceux-ci sont autorisés à emprunter les bandes latérales lors des croisements et des dépassements, sans pour autant mettre en danger les piétons et les cyclistes qui s’y trouvent.
Le Code de la route stipule désormais ceci :
2.71. Chaussée à voie centrale : partie de la voie publique délimitée par les marques routières visées à l'article 75.3
2.72. Bande latérale : la bande située le long de la chaussée à voie centrale. La bande latérale ne fait pas partie de la chaussée.
9.1.2 A condition de circuler à droite par rapport au sens de leur marche, et de céder la priorité aux piétons qui suivent cette partie de la voie publique, les conducteurs de cycles, de cyclomoteurs classe A, de speed pedelecs, d'animaux de trait non attelés, de charge, de monture ou de bestiaux, peuvent circuler sur la bande latérale
23.1, 2° L'arrêt des véhicules y est autorisé uniquement si accotements pas assez larges
25.1 15° Le stationnement des véhicules est interdit sur ces bandes latérales
75.3. Deux lignes blanches parallèles discontinues de chaque côté de la chaussée, constituées de deux paires de traits courts, délimitent les bords fictifs de la CVC :
Un concept fort utilisé à l'étranger
Il s’agit d’un concept de partage de l’espace déjà utilisé dans d’autres pays comme en France (chaucidou), en Suisse (Kernfahrbahn), en Allemagne (Angebotsstreifen), en Autriche (Mehrzweckstreifen) et aux Pays-Bas (Fietssuggestiestrook, photo ci-contre).
Le principe de cet aménagement se base sur une structuration visuelle de l’espace routier. Sans toucher à la largeur physique de la route, le marquage de bandes latérales et la suppression de la ligne médiane induisent un rétrécissement de la voirie qui peut favoriser une conduite plus prudente.
En Wallonie, des tests de CVC ont été réalisés il y a 10 ans à Walhain et à Tinlot dans le cadre du premier plan “Wallonie cyclable”. Ils n’ont pas montré une diminution des vitesses pratiquées mais ont mis en évidence un respect du marquage lors des dépassements des cyclistes.
Par contre en Suisse, une observation à Birmenstorf a démontré qu’après la mise en CVC d'une voirie, la vitesse maximale pratiquée sur celle-ci a baissé de 5 km/h.
Une étude récente menée en Flandre par le Fietsberaad, à Bornem et Hasselt, sur deux prototypes de CVC a relevé de son côté que les voitures observées ne ralentissaient pas. Elles auraient même tendance à aller légèrement plus vite. Mais, aussi, que les automobilistes dépasseraient parfois de moins loin les cyclistes en présence de lignes qui les isolent, contrairement à l'absence de tout marquage.
Par ailleurs une série de conditions d'application a été proposée par le SPW dès 2013 :
- un trafic faible (1500 véhicules/jour maximum)
- une vitesse maximale de 70 km/h
- l'absence de stationnement sur les côtés
- une bonne visibilité entre usagers (pas sur des routes sinueuses)
L'avis du GRACQ
Tout d'abord le concept de CVC ne peut être une solution pour sécuriser une chaussée que dans le cas où l’aménagement de pistes cyclables marquées ou séparées n’est pas réalisable. Ensuite cela doit être envisagé dans des conditions qui minimisent les rabattements sur les bandes latérales (trafic faible, bonne visibilité) et de vitesses peu élevées.
Pour encadrer les pouvoirs locaux, une grille stricte des conditions d'application des CVC devrait être proposée par les autorités, sur base des études de cas menées en dehors de la Wallonie (Cerema en France, Fietsberaad NL et VL). De notre côté nous plaidons pour une limitation à 50km/h sur cet aménagement, qui nous semble plus appropriée dans ce contexte de trafic mélangé (surtout hors agglomération).
Un autre aspect à ne pas négliger est la lisibilité et le respect de ce dispositif. Le code de la route ne définit de son côté qu'un marquage blanc discontinu pour baliser la CVC. Il nous semble clairement insuffisant tout seul : des bandes colorées, des logos piétons/vélos et des panneaux informatifs devraient compléter le dispositif pour que celui-ci soit lisible et reconnu.
En résumé, les voies centrales sont un outil intéressant dans la panoplie du gestionnaire de voirie, mais elles accordent une protection limitée aux cyclistes, elles ne sont applicables que dans des contextes bien précis et ne doivent jamais remplacer des infrastructures cyclables plus ambitieuses.
Luc Goffinet
► Évaluation des chaussées à voie centrale banalisée (Cerema, France)
► Onderzoek fietsmarkeringen – Fietsen in gemengd verkeer (Fietseberaad)