Taxes automobiles, indemnité kilométrique vélo domicile/travail... la fiscalité joue un rôle important dans nos choix de mobilité. Mais comment la réformer afin d'encourager une mobilité plus durable ? Pour en discuter, le GRACQ a invité cinq experts universitaires à s'exprimer sur différentes pistes.

Edoardo Traversa

Edoardo Traversa (UCL)

La fiscalité sur la mobilité est régie par un cadre légal européen (taux TVA, taux d’accises), fédéral (accises, voitures de société), régional (taxe de mise en circulation, taxe annuelle, vignette routière) et même communal (centimes additionnels, parking).

Ceci rend les choses très complexes. Il est donc important que tous les niveaux de pouvoir travaillent en concertation, pour éviter les mesures isolées. Un incitant fiscal devrait aussi toujours être évalué et limité dans le temps.

Par ailleurs, la fiscalité a d’autres objectifs que simplement la mobilité (environnement, budget de l’état, équité, etc.). Ainsi la fiscalité sur la voiture de société découle en grande partie de la fiscalité élevée sur le travail.

Enfin, on sous-estime souvent la question du stationnement, qui est un levier aussi important que le coût de déplacement en voiture. Et c’est une question qu’il est parfois plus simple de régler à un niveau local, plutôt que d’attendre un changement de taux de TVA, qui requiert l’unanimité au sein de l’Union européenne !

Cathy Macharis

Cathy Macharis (VUB)

Le trafic routier a un impact négatif de 4% sur notre PIB. Bruxelles compte 509.498 voitures, dont 136.518 nouvelles immatriculations en 2017, 58 % diesel et 39% essence. 350.000 navetteurs y viennent tous les jours, dont la moitié en voiture.

Bruxelles offre 265.000 places de parking en voirie, soit une file de 1500 km (soit la distance Bruxelles - Rome !). La capitale compte chaque jour 10 voitures supplémentaires. Dans le même temps, 1/3 des ménages bruxellois n’ont pas de voiture.

Il y a des anomalies dans la taxe de mise en circulation bruxelloise : la plupart ne paient que 61,5 €. Idem pour la taxe annuelle : la plupart paient seulement 80,52 €. Cela s'explique par le fait que ces taxes sont calculées en fonction de la puissance du moteur (et non pas du caractère plus ou moins polluant). On compte par ailleurs très peu de voitures "vertes" dans la capitale (5% maximum).

Pour améliorer les choses, je suggèrerais une fiscalité automobile basée sur les caractéristiques environnementales (C02, PM, NOX), une taxation plus importante à l’achat, et une tarification kilométrique intelligente.

Christophe Speth

Christophe Speth (CEREC, USL-B)

Il existe deux mécanismes pour faire payer l’utilisation de la route : soit un péage, souvent forfaitaire, pour circuler au sein d’une zone en période délimitée. Soit une tarification au kilomètre, que l’on peut faire varier (fortement) en fonction de critères spatio-temporels.

Un péage urbain (de zone) est mis en œuvre à Londres : la Congestion Charge, qui s’élève à 11,50 £/jour entre 7h et 18h. Ses atouts : un impact significatif sur la demande et c’est assez simple à mettre en œuvre. Son principal inconvénient : un manque de précision (pas d’incitation à diminuer l’intensité d’utilisation de la voiture une fois le péage payé, pas de prise en compte de l’hétérogénéité des déplacements au sein d’une zone, etc.)

Avec une tarification au kilomètre, les critères spatio-temporels peuvent être pris en compte de manière plus précise, mais elle est plus complexe à mettre en oeuvre. Pour un effet significatif sur les comportements de mobilité, il faut tendre le plus possible vers le coût marginal social (coût pour la collectivité d’un déplacement en voiture, qui tient compte de tous les impacts négatifs). Ce coût n’est pas loin d’1€ au kilomètre en heure de pointe en ville !

Une autre piste serait de rapprocher les gens de leur lieu de travail. Mais pour les propriétaires (70% en Belgique), les droits d’enregistrement sur les immeubles constituent un frein à la mobilité résidentielle. En Flandre, les droits d’enregistrement payés antérieurement peuvent être déduits à hauteur de 12.500 € (portabilité). Pour financer une baisse, voire une suppression, des droits d’enregistrement, il serait possible d’augmenter le poids de la fiscalité immobilière annuelle (précompte).

Xavier May

Xavier May (IGEAT, ULB)

En 2016, on recense 445.000 voitures de société à la disposition des salariés et environ 200.000 pour les dirigeants d’entreprise. Ce nombre de voitures de société à la disposition des salariés augmente très vite (hausse de 54 % entre 2007 et 2016). Environ 13,5% des travailleurs ont une voiture de société, mais ils parcourent 23% des kilomètres effectués en voiture en Belgique.

Notre estimation du manque à gagner fiscal du régime des voitures de société est de plus de 2 milliards . Trois autres études (OCDE, UE, IEW) citent des chiffres encore plus élevés !

À salaire constant, les utilisateurs de voitures de société font des navettes beaucoup plus longues que les autres automobilistes. Le régime des voitures de société bénéficie essentiellement aux plus hauts revenus (51% au dernier décile). Le nouveau système Cash for cars est aussi discriminatoire, car deux personnes qui gagnent la même somme en liquide ne sont désormais plus taxées de la même façon... Le Conseil d’État a d’ailleurs critiqué vertement ce principe.

La carte carburant est même une taxation négative : 100€ donnés au salarié pour ses déplacements privés coûtent 70€ à l’employeur. Et plus la voiture de société est chère, plus le régime est avantageux.

Fanny Vanrykel

Fanny Vanrykel (Tax Institute, ULG)

Des compagnies privées ont vu dans le développement de plateformes une opportunité de créer de nouveaux marchés dans le secteur de la mobilité. Des particuliers ont commencé aussi à partager l’accès à leurs biens (voitures, parkings, bornes de chargement) et services, dans des relations de pair-à-pair.

Dans ce contexte, mes recherches visent à déterminer comment les autorités publiques pourraient créer un écosystème fiscal adapté pour soutenir les initiatives privées qui offrent des alternatives à l’usage individuel de voitures énergivores, tout en s’attachant au respect de principes juridiques fondamentaux et à la neutralité budgétaire.

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