Après deux années sans Salon, les marques automobiles reviennent nous vendre du rêve. Si l'objectif de ce centième Salon de l'Auto est toujours le même (vendre des voitures), les moyens déployés n'ont pas changé non plus : matraquage publicitaire axé sur les véhicules les plus rentables (et donc les moins avantageux pour l'acheteur) en occultant leur impact sur la sécurité routière, la qualité de vie et la pollution engendrée.
Centième édition pour le Salon de l'Auto à Bruxelles. Après deux ans d'absence, il fait son grand retour. Si le nombre de mise en circulation de voitures neuves continue de baisser (-8% en 20211), et si la mobilité alternative gagne un peu de terrain, la culture de la voiture est toujours bien ancrée dans notre pays (près d'1,5 millions de nouvelles immatriculations en 2021 et près de six millions de voitures immatriculées en Belgique au total en 2022 !2). Le secteur a déjà prouvé qu'il savait adapter son discours et tentera de séduire un consommateur pourtant mieux informé sur les inconvénients d'un véhicule longtemps présenté comme miracle de mobilité.
Ma voiture, ma liberté puissance
Sous couvert de "s'adapter à la demande", le secteur automobile parvient en fait, grâce à la publicité, à "créer la demande". Les modèles mis en avant sont sans surprise ceux qui apporteront aux marques la marge bénéficiaire la plus importante, au détriment de l'acheteur lui-même, mais aussi de la collectivité. Car tout a une conséquence : un moteur plus puissant sera plus lourd, un véhicule plus lourd consommera plus, et une plus grande consommation polluera davantage. Un véhicule plus lourd nécessitera par ailleurs plus de distance de freinage et sera plus dangereux pour les usagers plus vulnérables.
Pourquoi dès lors continuer de vendre des véhicules toujours plus puissants, qualité inutile pour tout·e conducteur·trice respectant les limitations de vitesse ? Parce que ces modèles sont plus chers, et parce que le secteur automobile fera tout pour que la voiture garde son image dorée d'une mobilité dominante : héros en voiture, plouc à pied, à vélo ou en métro3.
Le message publicitaire sera également orienté vers ce qui préoccupe M. et Mme Tout-le-monde. Aujourd'hui, époque oblige, chaque voiture du salon sera donc vantée pour ses vertus de sobriété énergétique. Car l'électrique solutionnera tous les problèmes et il est prié à tout le monde de ne pas se poser plus de questions. Si la technologie ne séduit pas encore tout à fait (le problème de la recharge est un frein pour de nombreux acheteurs potentiels), certains constructeurs osent l'audace : un constructeur japonais propose ainsi une voiture électrique qu'il n'est pas nécessaire de recharger... et pour cause : c'est un moteur à essence qui chargera la batterie électrique qui elle-même entraînera les roues ! Quand on vous dit que la publicité permet de tout vendre.
Vers une remise en question profonde du secteur automobile ?
Les problèmes de pollution atmosphérique, ainsi que les dérèglements climatiques et leurs conséquences désastreuses ont poussé nos gouvernements à effectuer un virage vers une électrification du parc automobile. Une solution simple pour un problème pourtant complexe. Quand donc aura lieu la remise en question profonde de la mobilité que nous voulons pour les générations futures4 ? Si le déploiement de la voiture électrique améliorera la qualité de l'air dans nos villes, quid de la sécurité routière5 ? Du partage de l'espace public ? Des embouteillages6 ? Des problèmes de stationnement ? Quid aussi de l'accès aux ressources énergétiques ?
Pour le GRACQ, l'usage de la voiture ne peut se faire au détriment d'autres mobilités existantes, réellement bénéfiques à la collectivité, comme le vélo, la marche ou les transports en commun. Parmi les revendications du GRACQ, figure l'adoption du principe "STOP"7 à appliquer à toute politique de mobilité ainsi que la fin du système des voitures salaires, dopant l'usage de la voiture8. Un levier non négligeable serait également de mieux encadrer - voire d'interdire - la publicité pour la voiture, mettant fin à un discours schizophrène où il est demandé aux citoyens de repenser leur mobilité tout en les encourageant à posséder un véhicule cher, encombrant et dangereux. Malheureusement, ce centième Salon de l'Auto ravivera une fois de plus cette schizophrénie collective en nous montrant toute l'ingéniosité des publicitaires pour nous vendre un produit dont nous devrions davantage nous passer.
G. DE MEYERE
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Notes et sources :
1 Chiffres Statbel
2 Chiffres Statbel
3 Rappelons à ce sujet la publicité Citroën C3 de 2018 présentant un conducteur qui, grâce à sa nouvelle voiture, parvient à freiner à temps pour ne pas écraser un piéton traversant sur un passage pour piétons. Le conducteur y était présenté en héros, sauvant la vie d'un piéton inattentif (et pourtant pleinement dans son droit !) qui, une fois remis de sa surprise, le remerciait d'un geste de la main.
4 La conduite automobile perd d'ailleurs en popularité, surtout auprès des jeunes : "Un permis de conduire ? Pour quoi faire ?", Véronique Fievet, RTBF, 28/08/2022.
5 La route fait plus de 4000 victimes par an en Belgique, tués et blessés graves.
6Les embouteillages ont coûté 4,5 milliards d'euros en 2021.
7 Le principe "STOP" opère une hiérarchisation des modes de transports, en mettant prioritairement l'accent sur les modes les plus universels et les plus durables : marche > vélo > transports publics/partagés > voiture privée.
8 Une voiture privée roule en moyenne 14.000 km/an, contre 28.000 km/an pour une voiture salaire.